Du 27/04/2017 au 04/06/2017
Avec les oeuvres de Morehshin Allahyari, Quayola, Evan Roth, Eduardo Kac, Nicolas Maigret, Maria Roszkowska, Clément Renaud, Laurent Mignonneau & Christa Sommerer
Commissaire d'exposition : Valentina Peri
La notion d’« Archéonaute » qui donne le titre à l’exposition est un néologisme où la racine du mot « archéologie » est fusionnée à l’affixe « -nautes », navigateurs en grec ancien. Si le premier élément articule une double signification, celle d'ancien (archaios) mais également celle de l'acte de gouverner et dominer (archein), comme Sigfried Zielinski l’a souligné dans son ouvrage Deep Time of the Media, l’affixe « -nautes » veut renvoyer à un répertoire de figures liées à l’expérience du voyage, que ce soit dans l’Univers (Astronautes), à travers les mers qui séparent l’Orient de l’Occident (Argonautes) ou dans le Cyberespace (Internautes).
Par ce mot d’« Archéonaute » on veut essayer de cerner l’archétype d’un être en errance qui traverse les temps et les espaces dans un va-et-vient entre l’Ouest et l’Est et qui se déploie aussi dans les réseaux Internet ; évoquer des rencontres entre des mondes éloignés et des croisements imprévus entre « les passés et les futurs, les passés futurs et les futurs passés » (Jussi Parikka, What is Media Archeology, 2012). Le néologisme « Archéonaute » configure ainsi un universel anthropologique lié à une recherche de sens qui mobilise un regard archéologique.
Deux leçons fondamentales informent cette vision : celle de l’Archéologie du savoir, théorisée par Michel Foucault, et celle, plus récente, du champ de recherche qui porte le nom d’Archéologie des médias. Si la méthode archéologique foucaldienne sous-entend que finalement une fouille ne fait jamais qu’élaborer notre situation actuelle, et que l’archéologie est ainsi toujours, de manière explicite ou implicite, une interprétation du présent, l’Archéologie des médias, pour sa part, suggère que dans les fantômes médiatiques du passé on saurait peut-être retrouver de quoi mieux nous faire comprendre les symptômes du présent.
Comme le relève Mark Fisher, si la culture expérimentale du 20ème siècle avait été saisie par un délire de reprises combinatoires qui donnait à croire que du neuf serait toujours indéfiniment disponible, le 21ème siècle, en revanche, est opprimé par une écrasante sensation de finitude et d’épuisement. « Au cours des 15 dernières années l’Internet et les technologies de télécommunication mobile ont radicalement changé le caractère de notre expérience quotidienne, au point que notre culture a perdu l’agilité dont elle aurait besoin pour saisir et articuler le présent ». La distinction entre le passé et le présent finit par s’estomper. À partir de ce moment, le temps culturel se replie sur soi-même et l’illusion d'un déroulement linéaire est remplacée par une étrange simultanéité (Mark Fisher, Ghosts of my life, 2014).
Ce moment disruptif qui fait éclater la continuité de l’expérience contemporaine a précipité la crise d’un modèle historique téléologique qui voyait dans l’histoire une continuité et une célébration de la marche inexorable du progrès. Ce qui se traduisait au niveau du système économique global par les mythes de la croissance illimitée et de la puissance technologique.
Dans ce contexte, l’exposition « Archéonautes » réunit un ensemble d’artistes – activistes, théoriciens et visionnaires – qui, en décalage par rapport au présent, comme s’il s’agissait d’êtres humains vénus d’un lointain avenir mis en face des ruines artistiques et technologiques d’une civilisation perdue, fouillent dans la culture matérielle et immatérielle globale pre- et post- Internet.
Ils appartiennent à deux vagues distinctes : l'une est la génération des artistes nés à l'aube de ce qu’on a pu appeler la « fin de l'histoire » ; l'autre a été l’une des premières générations à s'emparer des nouvelles technologies de communication à des fins artistiques.
Naviguant entre une pluralité de temporalités pour essayer de se réapproprier des futures possibles, leur regard archéologique, engendré par la désarticulation du temps qui caractérise notre époque, avance des lectures « polychroniques et multitemporelles » (Serres and Latour, Conversations, 1995) d’un patrimoine artistique et technologique relevant d’espaces géographiques d’Orient et d’Occident.
Valentina Peri, 2017