Du 15/06/2016 au 28/07/2016
«On raconte que Giotto, encore jeune et dans l’atelier de Cimabue, peignit un jour sur le nez d’une figure faite par Cimabue une mouche si vraie que le maître se remettant au travail tenta à plusieurs reprises de la chasser de la main; il la crut vraie jusqu’au moment ou il comprit son illusion». Vasari, Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes
La troisième exposition personnelle de Laurent Mignonneau & Christa Sommerer à la Galerie Charlot «On the fly» présente différentes installations interactives dont l’élément commun est la mouche. Suivant la tradition de la «Musca depicta» dans la peinture classique européenne, les artistes intègrent cet insecte aux milles facettes dans l’art contemporain.
Certains portraits du XV et XVI siècles de l’Italie du Nord, de la Flandre et de l’Allemagne ont soulevé beaucoup d’interrogations sur la présence incongrue de cet insecte, comme dans la «Vierge à l’enfant» de Carlo Crivelli et celle de Giorgio Schiavone ou dans le « Saint Jerôme » de Francesco Benaglio. Si elle est souvent symbole du mal et de la mort, certains critiques interprètent ce détail comme une forme de provocation. C’est le cas de la mouche en trompe-l'œil peinte sur le cadre, juste au-dessus du nom de l’artiste dans «Portrait d’un Chartreux» du peintre primitif flamand Petrus Christus. Figée dans cet instant, à la frontière entre le réel et la représentation, cette mouche est la preuve de l’habilité du peintre à s’amuser des sens du spectateur et de lui donner l’illusion de la vie.
«Portrait on the Fly» de Laurent Mignonneau & Christa Sommerer est basé aussi sur un trompe-l’oeil : l’essaim de mouches bourdonnant dans l’écran se révèle être l’image d’une seule mouche multipliée par 10000. Les artistes nous mettent face à cette illusion entre réalité et représentation.
Dans le portrait de Petrus Christus, la mouche posée «hors cadre» indique également la bidimensionnalité de l’oeuvre. La perception de l’espace s’en trouve modifiée. De même, dans l’installation de Laurent Mignonneau & Christa Sommerer, la présence du spectateur donne une profondeur nouvelle à l’image virtuelle de l’essaim de mouches ; attirées par la présence et les contrastes visuels de son interlocuteur, les mouches forment alors rapidement la silhouette de celui-ci.
Les oeuvres de Laurent Mignonneau & Christa Sommerer mettent en avant cette ambivalence, entre matérialisation et dématérialisation, construction et déconstruction, présence et absence. En flux constant, le portrait est sans cesse redéfini selon le positionnement des mouches et le mouvement des spectateurs.
Cette dynamique subtile d’apparition/disparition nous ramène à une autre signification de la mouche dans l’histoire de l’art : comme memento mori, signe qui rappelle sans équivoque la fugacité et la temporalité de la vie.
Certaines installations interactives de Laurent Mignonneau & Christa Sommerer soulignent une symbolique moins connue de la mouche : sa résistance. Aspect mis en avant par deux champs très éloignés comme l’Héraldique occidentale et le Chamanisme, la mouche est aussi emblème de ténacité, de détermination, de persistance, c’est l’insecte qui ne se rend jamais.
Ainsi, les spectateurs sont confrontés cette fois à faire l’expérience opposée : l’essaim de mouches, une fois la silhouette identifiée et malgré les tentatives de le chasser par le mouvement, les habille par sa résistance d’un manteaux de bonheur, de bienveillance.
Par cette réflexion autour de notre rapport au réel, au statuts du corps et à son image dans ce flux, autour de la culture du « Selfie », les artistes nous mettent en garde quant au processus contemporain de la dématérialisation du monde.
Valentina Peri